On dirait que tout ce qui est plus ancien reste plus véridique que ce qui avance par le temps. Donc, tu ressens comme une émotion plus pure qui ressort de ce rap ancien... et je sais pas, ça me marque plus moi personnellement. Je préfère ces rythmiques là (le boom-bap), on a l’impression qu’ils rappaient vraiment quelque chose, tu vois, y’a du travail derrière, y’a un fond. (Luv Resval, l'interview par Mehdi Maïzi - Le Code, 7 juin 2021)
Toutes mes réflexions partent toujours d’une question. Celle d’aujourd’hui : le rap doit-il être éloquent ?
Avant de plonger dans le sujet, posons les bases. L’éloquence, selon le Petit Larousse, c’est l’art de bien parler, de bien s’exprimer. Autrement dit, c’est l’art de se faire comprendre par ses semblables avec clarté, force et précision. Cela repose sur plusieurs leviers : le débit de parole, les silences bien placés, le ton, l’articulation… bref, tout ce qui rend un message limpide.
Prenons un exemple concret : dans mes vidéos Youtube, je fais toujours attention de bien articuler, d'adopter un rythme ni trop rapide ni trop lent. Mon but est simple : que mon message soit clair, et que votre cerveau aie le moins d’effort cognitif possible à fournir pour me comprendre. À l’inverse, si je me mets à mâcher mes mots, à parler de manière nonchalante sans articuler, vous allez vite décrocher. Et je ne vous en voudrais pas.
C’est exactement ce qu’on observe dans cette interview de Gazo maladroite, où le manque d’éloquence nuit à la compréhension du propos.
Mais attention, soyons clairs : l’éloquence n’est pas réservée à une élite. Peu importe votre milieu ou votre parcours, elle reste accessible à tous.
🎶 J'ai pas fait d'études, j'emmerde tes politiques, j'ai pas fait HECJ'ai pas b'soin d'ça pour m'exprimer quand j'vois des pauvres sur la chaussée." Nekfeu, Humanoïde.
D’ailleurs, j’entends souvent des hommes politiques s’exprimer bien moins clairement que certains rappeurs. Comme quoi, l’éloquence ne se mesure pas à un diplôme...
Dans le rap, on distingue globalement deux types d’artistes : ceux dont l’éloquence est une arme — on entend et on comprend tout ce qu'ils disent — et ceux qui la mettent volontairement (ou non) de côté.
Illustrons.
🎶 Hamza (pas très éloquent, on galère à capter ce qu'il dit)
🎶 Nekfeu (diction claire, propos limpides)
Avec Hamza, l’effort pour décrypter ses paroles est bien plus important. On se concentre davantage sur le flow, les gimmicks, l’ambiance. À l’inverse, chez Nekfeu, les mots prennent le dessus. L’oreille s’attarde davantage sur le message que sur la mélodie.
Voilà la vraie question. Personnellement, je n’ai rien contre Hamza, bien au contraire : j’aime sa musique, même si je ne comprends pas toujours ce qu’il raconte. Alors, est-ce vraiment un problème ? Pas forcément.
Historiquement, le rap — notamment un style qu'on appelle le boom-bap — reposait sur des instrus simples et répétitives pour mettre en valeur la voix et le texte du rappeur.
Ce format mettait le message au premier plan. L’artiste écrivait, récitait, transmettait. On parlait alors de rap engagé, parfois militant.
Puis est arrivée l’autotune, popularisée par les rappeurs US. Le flow, les ad-libs et les sonorités sont devenus centraux. Le groupe Migos a d’ailleurs bâti sa renommée sur ce style très codifié.
En France, on a vu émerger cette même vague avec des artistes comme Freeze Corleone ou Hamza, qui privilégient l’atmosphère à la diction. C’est aussi le cas de la new wave avec des noms comme Luther, Rouhnaa, etc.
À l’opposé, certains rappeurs restent fidèles à la clarté du boom-bap, misant sur la plume et le fond. (Alpha Wann, Nekfeu, etc...)
Chaque style a ses avantages. D’un côté, des textes profonds, introspectifs, qui nourrissent la réflexion. De l’autre, des morceaux efficaces, divertissants, qu’on retient et qu’on fredonne sans effort.
Et franchement, tout dépend du mood. Il y a des jours où je veux juste m’ambiancer sur une zumba de Jul ou un banger de Koba LaD, et d’autres où je préfère me plonger dans les 93 mesures de Dinos ou le Grunt de Resval, véritable pépite lyrique.
Le problème, c’est que le rap divertissant prend aujourd’hui le dessus, et que les artistes engagés, porteurs de messages forts, deviennent plus rares. Il faut bien l’admettre : le rap a gagné ses combats. Autrefois marginal, contestataire, il est désormais partout. Même vos darons écoutent du rap.
Attention : je ne dis pas que le rap n’a plus rien à dire. Il reste des combats à mener et des rappeurs pour les porter. Mais la tendance dominante s’éloigne du message, et s’oriente de plus en plus vers le pur divertissement.
Alors, le rap doit-il être éloquent ? Ma réponse est nuancée. Non, le rap ne doit pas obligatoirement l’être. Tout dépend du propos, de l’intention, de l’émotion transmise. On peut écouter un morceau pour réfléchir, comme on peut le faire pour s’évader.
Mais si l’on tient à préserver l’ADN du hip-hop — cette volonté de dire, de dénoncer, d’exprimer des vérités avec style et justesse — alors il est nécessaire de continuer à valoriser l’éloquence. À magnifier la langue. À jongler avec les mots.
Voilà, j’ai dit ce que j’avais à dire. Comme toujours, je vous invite à réagir, à débattre, à partager vos avis. Le rap vit aussi grâce à nos discussions.
On se retrouve très bientôt pour une nouvelle analyse.
À très vite l’équipe.